HISTOIRE
C'est dans un paisible village purement elfique que naquit Aryon, au coeur de la forêt d'Hisen, aussi surnommée la forêt des brumes. Avide de connaissances, ses parents décidèrent d'en faire le pupille de l'archiviste Sérénité, une elfe aux connaissances très nombreuses et anciennes. Il vécut donc avec et apprit les us et coutumes elfes, leur histoire, la géologie de leur territoire. Il étudia avec passion la faune et la flore de leur forêt et des territoires alentours. Bien entendu, il était également plein de vie et l'apprentissage n'était pas sa seule activité. Altruiste, il aimait aider les autres elfes du village, surtout pour les travaux manuels. Il révéla d'ailleurs une force et une vigueur étonnantes tout en conservant l'agilité et la dextérité des elfes. Il grandit ainsi et devint réputé parmi les villageois pour son entrain et sa gentillesse.
Un jour, par une matinée brumeuse, chose qui malgré le nom de leur forêt ne se manifestait que durant une courte période de l'année durant laquelle tout prenait des teintes argentées, Aryon qui avait atteint ses 30 ans fut attiré par quelque chose avec une force étrange. Il ne put s'empêcher de saisir un vieux grimoire dont la couverture portait des runes composées de myriades de motifs géométriques inextricables. Sérénité le regarda faire et sourit en le voyant feuilleter les vieilles pages contenant la magie de leur peuple.
«Aimerais-tu apprendre les runes elfiques? fit-elle de sa voix douce habituelle.
- Cela semble fort compliqué, personne n'égalera jamais vos talents de magie blanche, répondit Aryon timidement.
- Il faut beaucoup de temps pour apprendre les runes, mais tu pourrais bien m'aider lorsque ma présence est requise à plusieurs endroits.
- Vous m'en pensez capable?
- J'en suis certaine, tu as des sens aiguisés révélateurs d'un potentiel magique fort, tu pourrais faire des miracles qui sait?»
Aryon entrepris donc la magie blanche. La théorie lui semblait incompréhensible au début, lui causant surtout des maux de tête. Puis le déclic se fit, les complications se démêlèrent en même temps que les motifs géométriques des runes et il comprit rapidement leur essence. La magie blanche des elfes de la forêt des brumes était tout compte fait assez simple, les plantes nécessaires se trouvaient en quantité aux alentours du village et les runes pouvaient se tracer à la force de l'esprit. Sérénité interdit pourtant à son élève de tenter le moindre sortilège tant qu'il n'avait pas mémorisé toute la théorie, Aryon accepta l'interdiction avec une certaine déception mais il redoubla ses efforts et s'appliqua donc à étudier avec autant de ferveur que pour les autres enseignements.
Par une matinée printanière, Sérénité avait confié à son élève de refaire les stocks de plusieurs herbes rares. Le jeune elfe se retrouvait donc loin du village à tirer des racine de souffle-vert, lorsqu'il entendit au fond de lui un appel à l'aide. Cela lui arrivait par moment de ressentir des paroles des animaux qui l'entouraient, mais jamais avec cette puissance et cette détresse. Il se précipita avec toute la vitesse dont pouvait faire preuve un elfe et se retrouva face à une renarde piégée dans une clairière. Occupé à la détacher du piège et maudissant l'inconscient qui l'avait installé, il ressentit tardivement mais brusquement une présence néfaste, quelque chose de très puissant dont chaque mouvements provoquait un bond dans son coeur. La renarde sitôt libérée fut prise d'une terreur innommable et prit la fuite tandis ce qu'Aryon n'eut pas le temps de se retourner qu'une silhouette encapuchonnée le toisait d'un regard perfide de l'autre côté de la clairière. Elle portait un long bâton de bois noirci, couvert de runes et surmonté d'une orbe mauve dont s'échappait une brume noire. Aryon était dans l'incapacité de bouger, il se trouvait au centre d'un cercle magique dont certains motifs lui étaient étonnement familiers, et il comprit pourquoi lorsque le sorcier releva sa capuche: un elfe noir.
«Vous êtes tous si aisés à tomber dans les pièges, vous les elfes, fit il en ricanant.
- Es-tu celui qui a blessé cette pauvre renarde, répondit Aryon en grinçant des dents malgré la peur qui l'assaillit. Que me veux-tu?
- Tu es bien curieux jeune elfe, ou plutôt jeune dragon, qu'es-tu donc pour que ton aura aie cette forme? Nous allons le voir de suite.»
Les runes devinrent toutes noires, et les ombres formèrent des silhouettes que l'elfe noir semblait interpréter comme des signaux, des messages pleins de sens tandis ce qu'Aryon était pris de puissantes convulsions. Le monde vacillait sous ses pieds, sa tête était telle une enclume martelée par une centaine de nains. Il s'évanouit, dans un dernier instant d'éveil il entendit l'elfe noir marmonnant avec satisfaction, il parlait de quelque chose de brun, d'un métal et de dragons. Lorsqu'il reprit ses esprits, Sérénité le regardait avec un mélange de pitié et d'amertume. Un soupçon à la fois de joie et de malheur transparaissait lorsqu'elle se rendit compte qu'il avait ouvert les yeux.
«Désolé Aryon, j'arrive trop tard, cela n'aurait jamais dû t'arriver, pas maintenant, dit-elle.
- Que se passe-t-il, Sérénité, qui était cet homme? répondit Aryon en tentant sans succès de se relever.
- Un sorcier qui trouble la paix de notre peuple depuis bien trop longtemps, et il vient encore une fois de tout mettre en déroute. Je suis désolée de t'infliger cela, mais tu dois partir Aryon. Loin de la forêt des brumes.
- Que voulez vous dire Sérénité? Sérénité?»
Lorsqu'il voulut la héler une troisième fois, il s'évanouit à nouveau. Son réveil se fit en dehors de la forêt dans des hautes herbes et il soupçonna une magie dont l'archiviste ne lui avait jamais parlé de lui avoir fait oublier le chemin de la forêt de l'Hisen. La seule chose qu'il lui restait était une magnifique lame elfique, probablement un cadeau d'adieu de la part de ses anciens amis. Cela l'affligea cruellement, car ce présent signifiait que tout le monde au village était au courant de son exil. Injustice. Une larme coula le long de la joue tandis ce qu'il admirait l'arme: la garde ouvragée représentait quatre dragons protégeant une sorte d'orbe mauve. En voyant ces dragons, il fut pris d'un haut-le-coeur et sa vision se troubla quelques instants. Il regarda sa main gauche qui le démangeait atrocement, et le mystère se démêla à cet instant. Jadis de peau et d'ongle, sa main était désormais d'écailles brunes et de griffes monstrueuses. Aryon n'était plus considéré par ses pairs comme un Elfe, mais comme une créature hostile, un monstre ou pire encore. Injustice. Mais il n'allait pas se laisser mourir, il survivrait.
Commença pour ses 50 ans révolus une vie d'errance. Embrassant la voie du rôdeur, il côtoya les hommes, vendait ses chasses et proposait ses services de guérisseur. Il se gardait bien d'employer la magie blanche et utilisait plutôt des plantes spéciales provenant des forêts locales, malgré l'efficacité avérée de la magie, cela aurait effrayé les habitants alors que ses traits elfiques suffisaient à éveiller la crainte chez certains. Cachant sa main gauche à l'aide d'un gantelet de cuir tanné, il gagna rapidement en popularité pour son caractère chaleureux et bienveillant. Le peu d'argent qu'il gagnait était employé à acheter de l'équipement neuf et à payer ses nuits de repos dans les auberges. Il acquis rapidement une dextérité remarquable à l'arc et à l'épée, et ses sens développés depuis la confrontation de l'elfe noir lui permettait de percevoir une myriade de choses qu'il ne pouvait pas ressentir avant. Il savait par exemple parler aux animaux suffisamment intelligents et partager leurs émotions, il décida par principe de ne pas tuer ceux-là. Aryon se fit ainsi aimé de certaines créatures avec lesquels il chassait ou partageait ses trésors de chasse.
Le seul animal avec lequel il atteignit la symbiose est Tyal, une aigle blanche qu'il rencontra alors qu'il s'était profondément enfoncé dans des pics enneigés. Son aiglon blessé, Aryon dut persévérer et prendre sur lui pour soigner le petit alors que sa mère le martelait de coups de bec acéré, ignorant ses tentatives d'apaisement mentales. Elle se calma quand elle comprit le but de la manœuvre, elle ne dit rien lorsqu'Aryon déposa de la nourriture dans leur nid, ni lorsqu'il revint la semaine d'après. Et au fil des années ils développèrent une certaine complicité qui devint une véritable symbiose. Ayant perdu son aigle dans une violente tempête et abandonnant son nid lorsque son aiglon devint autonome, elle décida de suivre Aryon, comblant ainsi la solitude qu'ils auraient ressenti en laissant l'autre partir.
Et pourtant, malgré cette vie simple, rude et pourtant satisfaisante qu'il menait, quelque chose le rongeait petit à petit au plus profond de lui. Parfois, lorsqu'il arrivait aux abords d'un ruisseau ou qu'il échangeait ses pensées avec Tyal ou encore lorsqu'il arpentait la montagne et qu'il décelait une odeur, de nouvelles écailles apparaissaient le long de son bras ainsi que des excroissances osseuses. Elles progressaient comme une maladie. C'était parfois très douloureux et pourtant ensuite il en ressentait une satisfaction et un bonheur extrême et même enivrant. Au début, il s'agissait juste d'une écaille qu'il ressentait plus qu'il ne voyait d'une année à l'autre. Mais lorsqu'il arriva vers ses 110 ans, l'âge adulte des elfes, et que son épaule commençait à être atteinte, qu'une sensation de chaleur lui parvenait de ses entrailles et que son dos commençait à le démanger, le désir était devenu plus fort que tout. Il était guidé par une sorte d'instinct surpuissant qu'il ne pouvait contrôler. Quelque part au plus profond de lui, il savait qu'il devait partir en quête de son héritage, de son passé non pas d'elfe, mais de quelque chose de plus lointain sur des millénaires. Durant ses rêves, il était hanté par des visions d'une silhouette gigantesque et fumante, toute d'écaille et de corne. Il savait qu'il devait la rejoindre, quitte à y perdre toute trace d'humanité.